Jean-Luc Maréchal, fils de Barcelonnette
La vallée de l’Ubaye et moi…
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Dans le mouvement des premiers congés payés, après 1936, mon père et une de ses sœurs étaient « descendus » dans les Alpes à bicyclette, et avaient découvert l’Ubaye (1). Après la guerre, ayant donné le jour à ma sœur Nicole, et cherchant du travail hors de la région Parisienne, mes parents ont répondu à une offre de tenir une Auberge de Jeunesse ! Celle-ci se situait à Saint-Paul-sur-Ubaye, dans un magnifique chalet en mélèze.
C’est dans ce cadre idyllique que j’ai été conçu, et à l’hôpital de Barcelonnette que je suis né le 15 novembre 1946, au poids remarquable de 8 livres et demie ! L’hôpital était tenu par des Sœurs, et la supérieure avait trouvé que je ressemblais au nonce apostolique ! À cette époque, le département s’appelait Basses-Alpes… Plusieurs départements ont revendiqué pour faire disparaître leur « infériorité », ce qui fut fait en 1970.
J’ai passé mes premières années au chalet de l’A.J, parfois emporté dans le sac à dos d’un visiteur, parfois, faisant des glissades dans la neige, jusqu’au jour où mes parents sont partis au Sénégal (2).
Nous en sommes revenus en France en 1951, augmentés de mes deux petits frères jumeaux, Gilles et Frédéric (3) ! Nous avons alors habité juste derrière l’église, chez Mademoiselle Marie Dao, une adorable dame ! J’en garde le souvenir des pâtes aux herbes qu’elle nous confectionnait, dans une grande pièce voûtée, de ses claudications dans la cour pavée, et de son sourire étincelant ! (4-5).
Rappel de mon petit frère Gilles : à la fin d’un repas, Marie Dao commence à débarrasser la table en annonçant « j’enlève le plus gros » ! Et Frédéric fond en larme, car il pensait qu’elle allait enlever son jumeau, qui était plus rondouillard que lui…
L’été, nous partions jouer en forêt. J’aimais aller voir Pépé Bannis (ou Bagnis) qui m’apprenait à faire des sifflets et d’autres objets en bois (6). Un beau jour d’hiver, je l’ai vu sur le toit de sa maison, enroulé dans son linceul. Il y est resté jusqu’à ce que son enterrement puisse se faire. Je me souviens aussi que le facteur et le docteur Grouès montaient à ski, ensemble, une fois tous les quinze jours… Les hivers étaient rudes, longs, de vrais hivers. Gare à ceux qui n’avaient pas assez de réserves ! (7 à 11).
Puis, mon père ayant changé de travail, nous avons quitté Saint-Paul pour Barcelonnette (on dit Barcelo, entre nous). Nous habitions au 31, rue Manuel, au premier étage, juste au-dessus du marchand de chaussures Amézieux.
À Barcelo, je suis allé à l’école des garçons. Je me souviens bien des jeux dans la cour, surtout l’hiver, les batailles de boules de neige ! Les jeudis, je partais avec Nicole, Gilles, Frédéric et quelques copains. Notre terrain de jeux préféré était aux « trois sapins ». On partait avec un quignon de pain, et parfois une pomme ; on devait revenir avec nos sacs à dos remplis de petit bois et de pommes de pin pour faire des stocks en vue de l’hiver. Nicole et moi avions un cyclorameur. Nous parcourions les rues de Barcelo à toute vitesse, au ras du sol, sans guère de risque d’accident : les voitures étaient très rares. La Citroën « trèfle » de Monsieur le Curé, la Peugeot 203 du taxi, et la voiture du docteur Grouès. Nous allions aussi souvent jouer dans le square de Berwick, nous y étions chez nous !
L’école : j’ai souvenir du poële au milieu de la classe. L’hiver, on y faisait sécher nos gants et nos bonnets. Plusieurs élèves venaient de loin, à pied ou à ski !
Mes copains d’école s’appelaient René Arnaud, les frères Bésucco, Alain Conti, Fourneau, Turpin, Pacaud, Aubert, Renard. L’instituteur devait être M. Legay (12-13-14).
Et puis, il y avait Martine, ma première « petite amie » !
Un Noël, l’oncle et la tante « de Paris » m’ont offert un vélo ! N’importe quel enfant de 8 ou 9 ans aurait été aux anges… Pas moi. Je me suis contenté de fixer mon carnet de dessin et ma boîte de Crayolor© sur le porte-bagages, et je poussais mon vélo jusqu’à l’endroit que je choisissais pour faire mes dessins du jour. Oui, je dessinais beaucoup, et bien, paraît-il. Dommage, mes carnets qui furent nombreux ont disparu lors des déménagements successifs de la famille. Je les ai bien regrettés, c’était le début de ma carrière de dessinateur qui m’a ensuite conduit à l’école Boulle puis à la Monnaie de Paris !
Nous aimions aussi aller voir les chasseurs alpins du XIe Bataillon de Chasseurs Alpins (BCA), à l’entrée ouest de la ville. Nous aimions regarder leurs hélicoptères, leurs belles tenues, et nous les suivions lors de défilés militaires. Nous fûmes très tristes lorsqu’un de nos copains d’école perdit son papa, lors de la guerre d’Indochine.
Devenus grands, nous avions eu chacun une paire des skis, des « planches » avec des fixations à câbles. Nous devions monter au Sauze à pied, remonter les pistes à pied, et redescendre à la maison à skis. Nous tenions une bonne forme, et étions bien calmes le soir ! Un jour, la station s’est préparée pour accueillir une épreuve de saut au tremplin. Nous n’avons pas demandé d’autorisation ni de mode d’emploi. Mes copains m’ont ramené à la maison une double fracture du tibia et du péroné.
Les hivers étaient rudes. Nous étions encore tous en culottes courtes. Le premier pantalon était pour l’entrée dans la grande école ! Dans l’appartement, un seul point de chauffage : le poële de la cuisine. Nous y mettions chacun notre brique, et le soir nous filions vite dans notre chambre pour la glisser dans le lit et essayer de le dégeler avant de pouvoir nous y entrer ! Nous avons été endurcis à ce régime-là, et n’avons jamais eu de mouchoir dans nos poches avant de « monter » à Paris. (15-16-17).
Nous avons quitté la Vallée pendant le terrible hiver 56 ! Comment oublier ça ?
La famille s’est installée pour quelque temps à Cadenet (84) avant de remonter en région Parisienne, à Argenteuil pour mes parents et nos frères ; à Neuilly-sur-Seine pour Nicole et moi.
Nous avons gardé longtemps des liens avec Barcelonnette, surtout par l’abbé Silve qui « montait » à Paris régulièrement pour changer de voiture lors du Salon de l’auto. Il couchait chez nous. Je me souviens du récit qu’il nous fit du dimanche 5 avril 1959. Il y avait eu un très fort tremblement de terre haute Ubaye, avec un épicentre situé sur la commune de Saint-Paul-sur-Ubaye. Nous en avions eu un récit épique par notre ami qui disait la messe ce jour-là à Saint-Paul !
Et puis, les liens se sont naturellement distendus. L’abbé Silve est parti à Sisteron, puis aux Mées. Mes copains ont vécu leur vie et moi aussi. Je suis revenu plusieurs fois, j’ai été étonné de voir la rue Manuel si étroite ! J’avais bien grandi…
Barcelonnette est toujours restée dans mes meilleurs souvenirs… et je suis extrêmement heureux que vous me permettiez de renouer les liens !
J’ai toujours le pain de sucre et le chapeau de gendarme dans le coin de l’œil !
Jean-Luc Maréchal
« Papa » de la 10 francs Génie de la Liberté
Ancien Maître Graveur à la Monnaie de Paris
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