Charles Grimaldi, évêque de Sisteron

Bertrand, comte de Provence

Un méreau inédit

Le méreau est une sorte de « bon-pour », un signe de reconnaissance ou encore, un laissez-passer qui prend la forme la plus commune d'un jeton en métal, plus rarement d'une rondelle de cuir ou en parchemin.

Les méreaux - sans doute du latin merere : être digne de, mériter - sont désignés depuis le Moyen Âge sous les formes de mérel, merelles, marelles et mereaulx. C'est la pénurie de monnaie divisionnaire qui explique leur apparition. Ils sont tout d'abord employés dans le domaine ecclésiastique à partir du XIIIe siècle comme jeton de présence des chanoines aux offices et donnaient droit à un repas ou à une portion de pain, ces derniers pouvaient ensuite en faire profiter les pauvres. Au XVe siècle, on créa même des méreaux qui valaient 5, 20, 30 ou 45 deniers que l'on pouvait échanger contre du numéraire. Le méreau est apparenté à la monnaie de nécessité.

Rapidement, de nombreuses corporations ou institutions publiques ou privées utilisèrent ce système qui connut une large diffusion jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Confondu avec le jeton, qui n'a pas systématiquement une valeur de remplacement, les méreaux sont très instructifs par leur thèmes et inscription pour les historiens et sont recherchés par les mérellophile, collectionneurs de méreaux.

Au temps de Calvin, les méreaux étaient distribués aux fidèles qui étaient dignes de communier à la Sainte-Cène, d'où la représentation fréquente de la coupe et du pain sur une face. Au XVIIe siècle, au temps des Assemblées « au Désert » ils serviront en outre à admettre sans crainte les assistants inconnus.


Source : Article Méreau de Wikipédia en français

 

Argent fondu, 25 mm, 3,68 g. Flan très mince (inférieur à 1 mm), ce qui exclut totalement un surmoulage (Un examen précis enlève aussi toute possibilité d'un appareillage de faces obtenu par soudage).

Avers : Crosse épiscopale entre les lettres SI et ST, légende : CAROLVS GRIMALDVS EPS (traduction : Charles GRIMALDI, Évêque). Les lettres SI et ST doivent se référer à deux saints, le 1er étant St-Jacques ou St-Jean ?

Revers : Légende circulaire : BERTRANDVS COMES PVIN (traduction : Bertrand, Comte de Provence). En légende centrale sur 3 lignes : OBNOX / VICRIO / XPI.
La traduction de la légende centrale du revers est sujette à plusieurs hypothèses, mais toutes pourraient se référer à un OBIT (Service religieux pour les morts).
OB (OBIT) NOX (signifie la nuit, mais aussi la maladie) VICRIO (abréviation possible de VICARIO) mais aussi VICR (VIA CRUCIS) IO (?) XPI (ici pas de doute, monogramme du nom du Christ), ainsi que VIC (VICTOIRE) RIO (?).
Donc, office mortuaire célébré de nuit par un vicaire du Christ et selon le vrai rite de la croix du christ, ou bien célébrant aussi la victoire de la foi en le christ ?
Ou bien office mortuaire célébré suite à une épidémie, vaincue par la victoire de la croix du Christ ?
Ou bien encore méreau réalisé lors de l'office funéraire de Bertrand II, Comte de Provence ?

Ces hypothèses semblent assez hasardeuses vu l'époque à laquelle ces évènements auraient eût cours, et je développerai plus bas mes conclusions.

Historiquement il n'existe qu'une seule conjugaison entre un Charles GRIMALDI et un BERTRAND, comte de Provence. Il s'agit de CHARLES GRIMALDI, évêque de SISTERON de 1080 à 1102 et de BERTRAND II de PROVENCE, comte mort en 1093.
A ce sujet, il est important de souligner que les possessions de SISTERON étaient à la fois du domaine de l'évêque et du comte de Provence.
Le Charles GRIMALDI en question serait issu d'une branche cousine de celle des GRIMALDI de MONACO. Son nom de famille n'étant pas explicitement indiqué dans les registres, ce méreau permettrait de confirmer son appartenance à la famille Grimaldi.

Faire remonter ce méreau à la fin du XIéme siècle pose problème car nous n'avons aucun autre exemple de méreau d'argent de cette époque (seul les plombs et quelques exemples de méreau de cuivre nous sont parvenus).
Cependant l'utilisation de lettres romaines et l'origine provençale indubitable de ce méreau rendent compatible une datation médiévale, seule région ou ce lettrage était utilisé à ces époques.

La conception de ce méreau est très frustre, les lettres étant réalisées une à une, sans usage de poinçons de lettres. Il s'agit donc de la gravure totalement manuelle et directe des deux valves d'un seul moule (La même lettre est différente d'une à l'autre, ce qui prouve l'absence de l'usage d'un poinçon de lettre pré-fabriqué).
Les points creux centraux visibles sur les faces ne sont pas des tentatives de perforation (elles ne coïncident pas avers/revers), mais des repères de centrage du dessin et des légendes réalisés à même le moule, car elles sont chacune au centre de chaque face.
Les critères de fabrication (moulage, gravure totalement manuelle et très frustre) et l'emploi de l'argent, très destructeur à l'usage de tels types de moules (probablement réalisé en pierre tendre ou terre cuite) portent à penser que le fabriquant n'a envisagé la production que de très peu d'exemplaires, voire d'un seul.
Cette conjonction de critères ne peuvent conduire qu'à une seule hypothèse : celle d'un méreau réalisé et utilisé comme symbole de la bonne exécution d'un contrat, d'une fondation, d'une charge, d'un fermage ou encore d'une charte de pariage.
De tels exemples existent, et c'est d'ailleurs le seul cas où l'on rencontre des méreaux de métal précieux réalisés de façon très artisanale (moulage ou ciselure directe du flan), il s'agit notamment des méreaux symbolisant la bonne exécution d'un contrat et donc du paiement symbolique de sa rente (la plus célèbre étant la "Rente du Vilain" d'un sou d'argent ou encore la rente due à la HAVARDIERE en Bretagne).
La légende mystérieuse du revers ne s'appliquerait donc plus à un Obit (service funéraire) mais prendrai un sens nouveau du type : Disparition (mort) des nuisances (nuit) par la victoire du christ, sens qui peut très bien se référer à une amélioration des conditions sociales suite à un accord intervenu entre les personnes nommées sur ce méreau.
Ce méreau ne remonterai donc pas forcément (mais ce n'est pas totalement à exclure) à la fin du XIéme siècle, mais pourrait avoir été réalisé soit :
- d'une part dans une période allant jusqu'à la fin du XVéme siècle, date à laquelle le comté de Provence est réuni à la couronne de France, en tant que symbole de la bonne exécution d'une charte ou contrat de pariage du XIéme siècle passé entre l'évêque de Sisteron Charles Grimaldi et le Comte de Provence Bertrand II et toujours en vigueur à cette époque (d'où le rappel de leurs nom et titulature sur ce méreau afin d'en rappeler l'origine et ainsi de la définir).
- soit d'autre part au XVIéme siècle, dans le but de réaffirmer les droits conjoints des évêques de Sisteron et des Comtes de Provence de part les contrats du XIéme siècle passés entre Charles Grimaldi et Bertrand II, face aux prérogatives de la couronne de France, en démontrant que la bonne exécution des dits accords était toujours de fait.
Ce méreau, historiquement et techniquement, ne saurait être postérieur à cette dernière époque.
D'un intérêt historique majeur pour la région Provencale et notamment Sisteron et d'une insigne rareté, problablement unique.

Montjoie732


Source : Vente sur delcampe.net le 13 mars 2012.

 

Bibliographie

Louis Moreri, Desaint et Saillant, Le grand dictionnaire historique, ou Le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane .... Paris, 1759 (Livre numérique Google).